Dans son acception la plus large, le patrimoine bâti constitue un vivier de connaissances techniques et typologiques dans lequel l’architecte puise pour alimenter un retour vers une sobriété choisie. Le bâti, qui a survécu aux générations et aux usages, est passé du statut de symbole (Histoire, souvenir, mémoire…) à celui de modèle (techniques et matériaux locaux, capacités thermiques, capacités à abriter plusieurs usages selon les besoins de la société). Les typologies classiques de plan (cloitre, stoa, agora…) et de coupe (patio, îlots urbains denses…) ainsi qu’un certain rationalisme constructif sont remis à l’honneur dans l’expression architecturale contemporaine.
Au contraire, il peut sembler indécent de vouloir conserver à tout prix les moulures d’une maison qui brûle. Le resserrement des efforts de conservation autour d’un nombre restreint d’édifices protégés par la loi vient percuter frontalement le besoin de plus en plus évident de faire avec tout ce que l’on a, au-delà de la question d’un classement patrimonial hérité d’un XIXe siècle exempt de l’urgence climatique. Mais à considérer tout ce qui est déjà édifié comme de la matière à conserver et à transformer, c’est la notion même de patrimoine qui est questionnée. L’exigence de classement en vue de restaurations est-elle compatible avec le besoin de considérer l’intégralité du « déjà là » comme ressource pour la transformation du monde.
Comment croiser la notion de patrimoine avec les démarches émergentes du recyclage et du réemploi ? Les processus jusque-là convoqués de conservation, de restauration, et de réhabilitation faisaient appel aux techniques de protection et de réparation. Le bâti qui durait était celui que l’on pouvait réparer, ce qui entrainait dans son sillage la transmission d’un ensemble de savoir-faire eux même érigés au rang de patrimoine. À ce titre, c’est à partir des années 1960 seulement que la restauration des monuments a acté le fait de privilégier de manière scrupuleuse la conservation de la matière en œuvre et non plus la réfection grâce au renouvellement de matière fidèle au dessin idéal. La réutilisation et le renouvellement durable sont pourtant aux sources du chantier patrimonial : retaille, dépôt lapidaire… déjà la rosace ouest de Chartes fut remaniée au XIIIe s. en réutilisant le plomb du précédent vitrail. Nous assistons à la naissance d’un nouveau paradoxe : on demande au bâtiment d’aujourd’hui d’être démontable et de constituer une réserve de matériaux réutilisables. Il ne faut plus construire pour durer, il faut concevoir le démantèlement futur et refaire place nette. Les matériaux constitutifs sont considérés non plus pour leur concours à une œuvre bâtie mais séparément, pièce par pièce, au poids de carbone dépensé. L’ancré, l’immuable et le solide sont suspects, le souple, le léger, le modulable ont le vent en poupe. Mais ne peut-on pas faire cohabiter durable et transformable ?
Pour ces raisons, le prochain séminaire du réseau APC à l’ambition de dresser les nouveaux contours de la notion de patrimoine au regard des enjeux contemporains. Quelle matière, quel bâti, quel environnement font patrimoine ? Comment adapter nos outils, nos diagnostics et nos méthodes d’inventaire et de classement ? Quel avenir pour le patrimoine ?
Les propositions pourront aborder les questions suivantes, de manière théorique, et éventuellement à travers des expériences pédagogiques.
Quel patrimoine ?
Architectural, urbain, paysagé, naturel, immatériel, quel patrimoine pour quelle société ? Est-ce que le patrimoine bâti est un patrimoine comme un autre ? En quoi peut-il ou doit-il être distingué du patrimoine paysagé, du patrimoine naturel ?
Quel classement ?
Classer, protéger ? Quoi et comment ? Critères : valeur d’existence, capacité de mutation, … ? Si le terme « patrimoine » s’entend comme tout ce dont on hérite, en quoi le nouveau paradigme climatique transforme- t-il notre manière de classer le patrimoine architectural ? Doit-on conserver ce que l’on craint de perdre, ou ce qui est le plus facile à transformer ? Doit-on continuer à créer des fétiches, ou doit-on apprendre à reconnaitre les qualités de la production courante ? Doit-on plutôt conserver le passé ou préserver l’avenir ?
Quel avenir pour le patrimoine ?
Et au bout du spectre patrimonial, que deviennent les constructions en rupture de continuité fonctionnelle ? Fait-on encore de belles ruines ? Si on doit autant que possible utiliser ce que l’on a déjà, est-ce que la conservation de bâti inerte et fragmentaire est encore acceptable aujourd’hui ? Et si on doit construire recyclable et démontable, notre génération fournira-t-elle aux générations futures un patrimoine digne d’être étudié ?
Modalités à retrouver ci-dessous.